Pour la rentrée, le gouvernement a réservé au monde de la formation un texte au surnom estival : c’est l’ordonnance dite « coquilles », conçue pour corriger les imprécisions et contradictions de la loi « Avenir professionnel » parue il y a un an. Ce long texte très technique recèle certains éléments très attendus des entreprises en matière de gestion de la formation, en particulier sur l’entretien professionnel, le CPF, Pro-A, les formations obligatoires… Synthèse des principales nouveautés.
La loi du 5 septembre 2018 sur la formation professionnelle la prévoyait : une ordonnance, en date du 21 août 2019, est venue apporter des précisions et des modifications à la réforme. Elle ne contient rien de révolutionnaire, mais certains détails sont bons à connaître pour les entreprises et leurs départements chargés de la gestion de la formation. Nous analysons plus particulièrement les trois nouveautés suivantes dans cet article :
2020 est une année importante pour les départements RH des entreprises : c’est l’échéance prévue depuis la loi du 5 mars 2014 pour réaliser le premier « entretien des 6 ans ». La loi du 5 septembre 2018 a changé les obligations des entreprises ; l’ordonnance instaure une petite période de transition pour limiter les effets pervers de cette mesure en matière de gestion de la formation.
L’entretien professionnel, obligatoire au minimum tous les 2 ans depuis 2014 pour chaque salarié, prend tous les 6 ans la forme d’un bilan des actions de formation et de développement dont le collaborateur a bénéficié au cours des 6 années précédentes. Avec, à la clé, des pénalités financières pour les entreprises de 50 personnes ou plus, à hauteur de 3 000€, à verser sur le Compte personnel de formation (CPF) de chaque salarié dont le parcours ne remplit pas les critères légaux.
Mais les règles du jeu ont changé en cours de route : en effet, la loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018 a modifié les critères à remplir. Il est toujours nécessaire d’être en mesure de justifier, pour chaque salarié, de la tenue des deux précédents entretiens professionnels.
En complément, le salarié devait auparavant cocher deux des trois cases suivantes :
Depuis la loi « Avenir professionnel », l’entretien des 6 ans s’intéresse toujours à ces trois points, mais ils ne servent plus à mesurer si l’employeur est « dans les clous » ou non. A la place, la loi prévoit désormais un critère unique : avoir suivi une formation non-obligatoire.
Ce changement pose un problème de taille : des entreprises qui se croyaient en conformité se retrouvent en risque de devoir payer des pénalités. Dans l’ancien système, en effet, un salarié pouvait remplir les critères sans avoir reçu la moindre formation (en « cochant » certification + augmentation, par exemple), ou en ayant reçu une formation obligatoire. Les départements RH devront donc réviser leur copie : pour éviter la pénalité, désormais, tous les salariés devront avoir suivi une formation non-obligatoire.
L’ordonnance donne cependant un répit aux entreprises jusqu’au 31 décembre 2020 : jusqu’à cette date, en effet, les employeurs pourront choisir entre les deux systèmes, entre les anciens critères le le nouveau. Pour les salariés dont l’entretien des 6 ans tombe cette année, le problème ne se posera donc pas.
Attention cependant : cette mesure ne concerne que les salariés embauchés en 2014 ou avant. Pour les salariés embauchés avant la loi du 5 mars 2014, l’entretien doit être organisé avant le 7 mars 2020. Pour les salariés embauchés en 2014 mais après la loi, il doit avoir lieu avant la date anniversaire de leur embauche. Seuls ces salariés embauchés en 2014 ou avant sont concernés par la mesure. Pour les salariés entrés dans l’entreprise en 2015, par exemple, l’entretien des 6 ans aura lieu en 2021 ; pour ceux de 2016, en 2022, et ainsi de suite. Ces salariés devront impérativement, eux, avoir suivi une formation non-obligatoire pour être en conformité.
La période de professionnalisation a cédé la place en 2019 à un nouveau dispositif : Pro-A. Dans les deux cas, il s’agit de former en alternance des salariés en poste. Mais les conditions pour obtenir les financements Pro-A sont nettement plus restrictives que pour la période de professionnalisation : formation de 150 heures minimum, salariés de niveau bac+2 au maximum, certification supérieure ou égale à celle du stagiaire, taux de prise en charge plus bas. Ce changement a de fait suscité l’inquiétude de certains responsables formation.
L’ordonnance apporte des précisions dont certaines vont dans le sens d’un assouplissement :
Par ailleurs, l’ordonnance précise qu’une liste de certifications professionnelles éligibles à Pro-A sera établie par accord de branche étendu. Auparavant, le code du Travail ne comportait pas cette notion d’éligibilité, et se contentait de renvoyer globalement aux formations en alternance (apprentissage et professionnalisation). Il faudra donc, vraisemblablement, attendre que les branches aient négocié des accords pour savoir quelles formations sont finançables via Pro-A.
La réforme de 2018 a modifié en profondeur le Compte personnel de formation (CPF), en le libellant en euros et en permettant au titulaire d’utiliser directement les sommes, sans l’intermédiaire de l’Opco. Pour l’entreprise et les responsables de la gestion de la formation, cela signifie, si elle souhaite pouvoir bénéficier de la ressource, de co-construire des projets de formation avec le salarié. Plus de la moitié des DRH en font une priorité.
L’ordonnance apporte deux modifications qui bénéficient aux salariés et à leurs droits CPF.
Les heures accumulées sur le DIF (droit individuel à la formation), le prédécesseur du CPF en vigueur avant le 1er janvier 2015, pouvaient déjà être converties en heures de CPF, elles-mêmes convertibles en euros à raison de 15€ par heure. Jusqu’à présent, cependant, les droits issus de ces heures de DIF avaient une date de péremption : il fallait impérativement les utiliser avant le 1er janvier 2021.
L’ordonnance fait sauter cette échéance : les heures de DIF converties en euros pourront être dépensées au-delà de cette date, sans limite temporelle. Il faudra toujours, cependant, avoir procédé au reversement de ses heures de DIF sur le CPF avant le 1er janvier 2021, sous peine d’en perdre totalement l’usage.
En principe, les DRH ont informé les salariés du nombre d’heures de DIF disponibles au 1er janvier 2015, soit sur la fiche de paie de décembre 2014 ou janvier 2015, soit sur un document distinct. Il suffit de saisir le chiffre correspondant sur le portail CPF et de garder le justificatif en cas de contrôle.
Les formations obligatoires devraient être de fait automatiquement éligibles au CPF. L’ordonnance prévoit en effet que toutes les formations conduisant à des certifications ou habilitations créées par l’Etat et qui conditionnent légalement l’exercice d’une activité seront inscrites systématiquement au répertoire spécifique de France Compétences (l’ancien « inventaire »), sans qu’il soit besoin de les examiner une à une. Or, toutes les formations préparant à des certifications inscrites dans les répertoires de France Compétences sont désormais éligibles au CPF.
Bien sûr, les formations obligatoires ne sont pas de celles que les salariés seront le plus désireux de financer avec leur CPF. Mais dans le cadre d’un parcours de formation plus global et co-construit, l’intéressé peut néanmoins y trouver son compte en matière de développement professionnel, et donc accepter un montage financier dans lequel son CPF est mobilisé.
Cet article de l’ordonnance concerne en réalité les certifications et habilitations imposées par l’Etat à l’avenir : les certificats existants sont, a priori, déjà inscrits au répertoire spécifique et éligibles au CPF. On peut le vérifier facilement grâce à un nouvel outil très simple : la liste unique mise à disposition au format Excel par le site moncompteactivite.gouv.fr et mise à jour régulièrement.
L’ordonnance comporte d’autres éléments qui peuvent concerner les entreprises.
Des assouplissements sont apportés sur l’apprentissage. Les contrats d’apprentissage pourront être plus longs que le cycle de formation, dans certains cas particuliers. En outre, les entreprises qui ont des CFA internes n’auront pas à changer leurs statuts pour y inscrire explicitement « la formation en apprentissage ».
Le conjoint collaborateur pourra assumer le rôle de maître d’apprentissage. Ce dernier point apporte la correction très attendue d’une incohérence que nous rapportions dans notre revue de vidéos du 16 juillet dernier : de nombreux commerçants ne pouvaient plus embaucher d’apprentis, la formulation de la loi excluant de fait leurs conjoints du rôle de maître d’apprentissage, qu’ils assument souvent.
Enfin, le CPF de transition, héritier du CIF (congé individuel de formation), va être adapté par décret à la situation des intérimaires et des intermittents.
Commencée fin 2017 avec les premières concertations, la période de transition et d’incertitude engendrée par la réforme – comme pour les précédentes – n’est donc pas encore achevée pour les entreprises et les responsables formation. Espérons que les simplifications apportées en matière de gestion de la formation en vaudront la chandelle !
Crédit photo : Shutterstock / silvae
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