Le « Jaune budgétaire » de la formation professionnelle, publié début novembre, contient comme à l’accoutumée les données actualisées du financement de la formation de l’avant-dernière année – soit 2014. Il permet de faire le point sur les tendances de la dernière année avant l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2015, de l’essentiel des mesures de la réforme du 5 mars 2014. Mais le document contient aussi des données intéressantes sur le passé plus récent (collecte Opca 2015) et plus ancien (évolution des dépenses depuis les années 1970).
Tous les ans, le projet de loi des finances pour l’année suivante est accompagné d’une pile – virtuelle – d’épais volumes électroniques consacrés aux données chiffrées relatives aux politiques publiques. Ce sont les fameux « Jaunes Budgétaires », au nombre de près d’une trentaine, et qui doivent leur nom à la couleur utilisée en couverture. Celui qui est consacré à la formation professionnelle et à l’apprentissage est toujours très attendu par les professionnels : il contient les chiffres les plus récents sur l’activité du secteur.
Comme nous l’écrivions l’année dernière à la même période, il faudra attendre les Jaunes publiés fin 2017 et fin 2018 pour avoir un premier aperçu des effets de la réforme. Cette année, le document nous renseigne sur la dernière année passée sous « l’ancien régime », à savoir 2014.
La baisse globale de la part du PIB consacrée à la formation professionnelle, amorcée en 2009, s’est stabilisée en 2014 à 1,48%. La part des entreprises continue à progresser, à 45% des dépenses, contre 41% en 2010.
L’Etat, qui était au début des années 2000 le 2e contributeur de la formation professionnelle, s’est désormais bien installé à la 3e place derrière les régions. Sa part continue à reculer, à 12% cette année, contre 16% encore en 2009. Les régions restent autour de 14%.
La dépense des entreprises progresse donc en valeur et en part du PIB, et dépasse pour la première fois les 14 milliards. En revanche, elle reste stable depuis 2008 par rapport à la masse salariale, autour de 2,6%. En 2014, dernière année au cours de laquelle les entreprises étaient soumises à l’obligation de dépense à hauteur de 1,6% des salaires, les entreprises étaient donc encore bien au-dessus de ce minimum légal.
Sur les 14,3 milliards que les entreprises consacrent à la formation professionnelle, 11,2 milliards (soit 78%) sont dépensés au profit des salariés, soit directement (6,3 milliards), soit indirectement, par le biais des Opca (4,8 milliards). Si l’on regarde l’augmentation des différentes composantes de cette dépense, il semble qu’on assiste à une double évolution :
Il semble donc, à en croire le Jaune budgétaire, que les entreprises tendent à prendre plus directement en charge leur politique de formation, dans un contexte de déclin relatif des sommes disponibles pour les salariés. Ce qui, peut-être, donne des raisons d’espérer que la dépense se maintienne à long terme après la réforme, en dépit de la disparition de l’obligation, et de son remplacement par une contribution de 1% sans notion d’imputation.
Si l’on peut tirer une leçon de cette dernière année avant la réforme, c’est sans doute celle d’un relatif désengagement de l’Etat et d’un léger recul des Opca, qui pourraient laisser présager une tendance à la dé-mutualisation de la dépense. L’avenir dira si la réforme a infléchi cette tendance, ou si les entreprises sont amenées à s’investir financièrement de plus en plus directement dans la formation de leurs salariés.
Le Jaune budgétaire contient également des premiers résultats pour la collecte des Opca en 2015. Les chiffres qui en résultent sont difficiles à comparer avec ceux des années précédentes : la répartition et la destination des sommes est différente. Ils permettent cependant de donner une première idée des effets immédiats de la réforme.
On constate dès l’abord qu’il n’y a pas d’effondrement. La collecte recule de 1,16% par rapport à l’année précédente, et s’établit à 6,715 milliards d’euros.
L’évolution dans le détail est plus difficile à mesurer. Les contributions volontaires et conventionnelles, par exemple, existaient déjà, mais n’étaient pas comptabilisées séparément. Les entreprises ont ainsi versé 1,09 milliard d’euros aux Opca volontairement en 2015. Il s’agit de sommes qui ne sont pas mutualisées, et dont la dépense est gérée par l’Opca destinataire. Les entreprises ont utilisé 903 millions de ce montant. S’y ajoutent 484 millions de sommes versées dans le cadre d’accords de branche.
Les sommes destinées au financement du plan de formation et de la professionnalisation chutent considérablement (de 5,78 milliards à 2,4 milliards), la différence étant constituée par les nouveaux postes comptables que sont les versements volontaires et conventionnels, le FPSPP (Fonds paritaire de sécurisation professionnelle) et le Compte personnel de formation (CPF). Ce dernier reçoit 850 millions d’euros, pour 58 000 actions financées.
Rappelons que dans leur étude pour l’Institut Montaigne, Marc Ferracci et Bertrand Martinot estiment à au moins 6 milliards le besoin de financement du CPF, en partant sur la base d’un taux d’accès de 4,8% des salariés chaque année pour des formations de 150 heures en moyenne. Or le montant collecté par les Opca n’a pas de raison d’augmenter significativement, puisqu’il correspond à un pourcentage fixe (0,2%) de la masse salariale. Même si le FPSPP verse des financements complémentaires, à hauteur d’environ 300 millions d’euros, il faudra bien compléter les sommes pour permettre au dispositif de prendre de l’ampleur : abondements des entreprises, participation des personnes, des collectivités, des institutions ?
Comme chaque année, le Jaune budgétaire propose également quelques données pour faire le point sur le chemin parcouru depuis les années 1970, quand la formation professionnelle a commencé son essor.
On constate que le taux de participation des entreprises à la formation continue a suivi une courbe en bosse : parti d’un plancher à moins de 1,7% de la masse salariale, il entame une hausse rapide et régulière vers 1976, pour atteindre un sommet à 3,3% en 1993. Depuis, la participation des entreprises a décru régulièrement, pour s’installer autour de 2,6-2,7% depuis 2008. Ce relatif déclin s’explique en partie par des raisons statistiques : depuis 2005, les petites entreprises, qui contribuent comparativement moins, sont davantage prises en compte dans le calcul, et font donc baisser la moyenne. Mais la baisse avait commencé avant. Faut-il incriminer le système des Opca ? ou les années 1980 ont-elles correspondu à un moment de forts besoins, lié à la reconversion des industries ?
Quoiqu’il en soit, la baisse semblait bien être enrayée en 2014. Qu’en sera-t-il avec la réforme ? Nous ne pouvons que conclure, comme l’année passée, à la nécessité d’attendre les prochains Jaunes pour avoir des éléments de comparaison fiables.
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