Gestion de la formation

Recueil des besoins de formation : nouvelles tendances

Le recueil des besoins de formation fait partie des rituels qui rythment la vie des services RH de l’entreprise. Il s’agit à chaque fois de cartographier l’organisation sous l’angle des formations souhaitables ou souhaitées, afin de préparer le plan de formation de l’année suivante. Le rite, pour autant, n’est pas immuable, et on peut observer empiriquement certaines évolutions. Notamment, un décalage du calendrier et une centralisation accrue de la décision.

 

Le recueil des besoins de formation n’est pas un exercice parfaitement codifié, qui se passerait de la même façon en tout temps et en tous lieux. Au contraire, la façon dont il se déroule varie selon le contexte, selon les entreprises, et même selon les moments de l’histoire celles-ci.

Peut-on distinguer une évolution dans le recueil des besoins de formation ces dernières années ? Il est toujours délicat de généraliser, mais il me semble remarquer, en tant que professionnel du secteur, quelques grandes lignes de convergence. Ces impressions ne s’appuient pas sur des études, mais reflètent des pratiques observées. Elles correspondent également à de grandes évolutions législatives, qui ont modifié le cadre dans lequel s’effectue le recueil des besoins : réforme du dialogue social (loi Rebsamen d’août 2015) et réforme de la formation professionnelle de 2014.

Précisons cependant que nos remarques reposent d’abord sur l’observation des entreprises avec lesquelles travaille RHEXIS, c’est-à-dire, pour beaucoup, des entreprises moyennes à grandes situées en France mais faisant partie de grands groupes internationaux. Les évolutions esquissées dans cet article n’ont donc pas la prétention de s’appliquer à l’ensemble des entreprises,.

 

Un décalage progressif du calendrier ?

Traditionnellement, le recueil des besoins de formation auprès des managers et des collaborateurs s’enclenchait dans le courant du 3e trimestre de l’année… L’enjeu étant d’être prêt pour la réunion obligatoire avec le Comité d’entreprise sur le projet de l’année suivante pour le plan de formation, le CPF et la professionnalisation, réunion devant se tenir avant le 31 décembre (sauf accord d’entreprise). Le bilan de l’année précédente et en cours ayant été fait devant ce même CE avant le 1er octobre.

La loi Rebsamen du 17 août 2015 a rationalisé le calendrier des consultations du CE, à partir de 2016. Désormais, les 17 consultations obligatoires sont réunies en 3 grands blocs. La politique formation est répartie entre le 1er et le 3:

  • Les « orientations de la formation professionnelles », ainsi que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sont rattachées à la consultation sur les « orientations stratégiques de l’entreprise » ;
  • Le plan de formation, le CPF et la professionnalisation font partie du 3e bloc, consacré à « la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi ». On y trouve « le programme pluriannuel de formation, les actions de prévention et de formation envisagées par l’employeur, l’apprentissage, les conditions d’accueil en stage ».

En principe, cela ne change rien au fait que toutes les consultations doivent avoir lieu avant la fin de l’année. En pratique, il est possible que les entreprises prennent un peu plus de liberté, et que les échéances de l’automne et de l’hiver soient vécues comme moins contraignantes que par le passé. On pourrait donc assister à un léger décalage du calendrier de la séquence recueil des besoins/ bilan de l’année/ présentation du plan.

 

Le plan de formation, entre centre et périphérie

Le recueil des besoins de formation a par ailleurs un objectif précis : alimenter et structurer le plan de formation de l’entreprise, expression de sa stratégie en matière de développement des compétences.

Or le plan de formation évolue toujours entre deux extrêmes :

  • d’un côté un enjeu « individualisation », pour lequel on part des besoins exprimés par les collaborateurs pris séparément, pour s’efforcer de répondre au mieux aux souhaits de chacun, dans une perspective d’employabilité et de développement des parcours ;
  • de l’autre, un enjeu « stratégie globale », pour lequel on décide de façon centralisée et dirigiste des formations à suivre par l’ensemble des collaborateurs, dans une perspective de conformité à la stratégie de l’entreprise.

Le plan de formation  est généralement le résultat d’un compromis entre ces deux enjeux. Pour autant, suivant les entreprises le curseur bouge : parfois la logique « top down » prédomine, parfois le « bottom up » l’emporte.

Par ailleurs, pour une entreprise donnée, la dominante des politiques formation (centralisation ou « libre service ») évolue dans le temps, de façon cyclique.

On peut faire l’analogie avec ce qui se passe, plus généralement, dans l’organisation même de l’entreprise. A un moment donné de son histoire, la direction va favoriser la décentralisation des décisions, l’engagement des individus, la prise d’initiative… Puis, on observera un mouvement inverse vers davantage de centralisation. Ce sont des mouvements qu’on observe, bien sûr, sur des durées longues.

Dans le domaine de la formation, on remarque le même genre de tectonique. A certaines époques, on donne davantage de liberté aux salariés pour décider de leur formation. A d’autres, on arbitre essentiellement en fonction d’axes stratégiques prioritaires.

 

Une centralisation accrue

Mon sentiment est que nous vivons actuellement une phase où les entreprises tendent à privilégier la centralisation des décisions en matière de formation. Au point, parfois, que l’étape du recueil des besoins peut paraître superflue. Ce n’est absolument pas le cas dans toutes les entreprises, bien sûr ; mais c’est une tendance générale que l’on observe.

Comment peut-on expliquer le phénomène ? Deux évolutions peuvent y contribuer.

* Un premier facteur  est indubitablement à l’œuvre dans les multinationales : c’est l’impact des grandes transformations pilotées à partir du siège, et imposées aux filiales. Dans ces grandes organisations, on observe en effet un pilotage de plus en plus centralisé des politiques de formation. Ces stratégies de groupe se traduisent logiquement par des sessions de formation collectives imposées par la direction « monde » via le management national. D’où l’essor des universités d’entreprise, des grands programmes managériaux d’acculturation, des formations « corporate ».

Ces politiques de centralisation de la formation s’accompagnent souvent du déploiement d’outils de type LMS (Learning Management Systems). Ce lien est loin d’être systématique : un LMS peut très bien être utilisé, à l’inverse, pour favoriser un accès plus libre des collaborateurs à la formation, notamment par le biais de contenus e-learning en libre service. Mais force est de constater que l’outil se prête également volontiers à la conduite de ces campagnes de formation massives de populations entières, de manière directive, avec contrôle des résultats à l’appui.

Sans en faire un facteur déclenchant, on peut donc voir au minimum dans le LMS un élément facilitateur de la « reprise en main » par la direction des politiques de formation.

* Le second facteur possible est la réforme de la formation professionnelle de 2014. En supprimant l’obligation de dépense, la loi a renforcé la vigilance budgétaire sur la formation. Auparavant, le responsable formation pouvait souvent se contenter de justifier avoir dépensé son 0,9% d’engagements imputables. A l’intérieur de cette enveloppe, il avait une certaine liberté, propice au déploiement de politiques « individualistes » de formation.

Aujourd’hui, il doit davantage justifier chaque dépense, dans une logique d’investissement. Dans ces conditions, il est tentant pour les directions de rationaliser autant que possible la dépense de formation, en privilégiant des programmes collectifs gérés d’en haut.

Il ne s’agit pas nécessairement d’une histoire de coût. Une politique de formation « dirigiste » n’est pas nécessairement moins coûteuse qu’une politique décentralisée. Simplement, son coût est plus facile à prévoir et à ajuster.

 

Quelles conséquences pour le recueil des besoins de formation ?

Dans tous les cas, la façon de recueillir les besoins de formation doit être adaptée à la stratégie formation de l’entreprise et à sa culture, à ses pratiques.

Si la stratégie privilégie les parcours individuels, il faudra mettre l’accent sur les demandes et les envies de chacun, au-delà même de l’utilité professionnelle immédiate.

Mais s’il est établi que l’essentiel du budget sera mobilisé par des formations « corporate » et obligatoires, inutile d’insister démesurément sur les attentes personnelles ! Ce serait susciter inutilement de la déception et de la frustration. Et mettre les managers dans une situation difficile, celle de donner l’impression de faire aux collaborateurs des promesses qui ne seront pas tenues.

En pratique, il faut donc avoir une idée précise, en amont du recueil des besoins, de la part du budget qui sera disponible pour les formations individuelles. Et jouer la transparence avec les managers et les collaborateurs quant à la probabilité de bénéficier de financements pour des formations qui ne relèvent pas de celles prescrites par la direction.

 

Malgré ces deux grandes évolutions – centralisation et décalage du calendrier, le recueil des besoins de formation a toutes les chances de demeurer une étape incontournable de l’agenda annuel des entreprises.

D’abord parce qu’elles sont à relativiser : beaucoup d’entreprises continuent à favoriser une approche « bottom-up », et celles qui re-centralisent ne le feront probablement pas éternellement. Et après une phase de transition où les organisations vont retrouver leurs marques en matière d’agenda des consultations annuelles, il y a fort à parier que le calendrier va se stabiliser à nouveau.

Surtout, l’entreprise, sur la durée, ne peut absolument pas faire l’économie de recenser les attentes de ses managers et de ses collaborateurs en matière d’évolution des compétences. Que l’on se place dans une optique d’optimisation du capital humain ou de dynamisation des parcours, l’économie de la connaissance dans laquelle nous vivons ne peut pas se passer de recueillir régulièrement les besoins de formation, à l’échelle des services ou à celle des individus.

 

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Illustration : © Florence Cosnefroy

Alain Ragot

Fondateur et dirigeant de RHEXIS, Alain Ragot met au service de ses clients ses vingt années d’expérience de l’externalisation RH à travers une offre innovante et centrée sur la qualité de la relation entre partenaires. Diplômé de Harvard et de NEOMA Business School, Il partage son expertise de la formation professionnelle en tant qu’intervenant au Crefop et comme directeur de la publication du blog Management de la formation.

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