Cette année, la 3e édition des « entretiens de la formation professionnelle », organisés par le GARF, proposait d’emmener le responsable formation et compétences sur trois terrains étroitement connectés : ceux de la stratégie, de l’innovation digitale et du marketing RH. En d’autres termes, il s’agissait de répondre aux trois questions : quelle politique de formation ? Avec quels moyens pédagogiques ? Et comment la faire partager par les collaborateurs ? Principaux jalons à retenir de cette journée très riche.
Évolution des organisations, renouvellement du cadre législatif et réglementaire, nouvelles modalités pédagogiques, nouvelles attentes des salariés, nouvelles générations, nouveaux circuits de financement, nouveaux outils digitaux… Tous ces éléments et d’autres encore composent la transformation de l’environnement de la formation professionnelle. Alexis Hluszko et Claire Gaillard, respectivement président et déléguée générale du GARF, ainsi que le directeur de C-Campus Marc Dennery ont chacun apporté leur regard pour planter ce décor contrasté.
Jean Wemaere, le président de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), est également intervenu en introduction pour camper les 3 grands défis de la formation en 2016 :
Francis Mer, ancien président d’Usinor et ancien ministre de l’Économie et des Finances, a apporté un témoignage énergique et très apprécié. Partant d’un constat sombre sur l’état du pays, « construit par en haut par un régime monarchique qui se poursuit dans le régime d’aujourd’hui », il en a souligné le contraste avec l’avènement d’un monde digitalisé, libérateur de connaissances, d’échanges, de coopération entre les individus. Verrouillé par une « élite du diplôme », le pays affronte une révolution d’ampleur considérable. Il ne s’agit plus de gérer, mais de penser le futur, d’avoir une vision.
Trente ans plus tôt, pour affronter la crise de la sidérurgie, Francis Mer et son équipe avaient alors décidé d’augmenter les dépenses de formation de 2 à 8% – le chiffre qu’y consacrait IBM. La formation était bien conçue comme un investissement, avec deux objectifs pour l’entreprise : que personne ne la quitte sans un emploi ; devenir et demeurer la meilleure dans ses métiers.
La morale de l’histoire, c’est bien que le capital humain est la clé du succès de l’entreprise. Les responsables formation (RF) doivent trouver les mots pour en convaincre leurs dirigeants, tentés par la réduction des coûts en période de crise. Les RF doivent être « plus agressifs » et se remettre en cause. Leur rôle est de valoriser le capital humain, le potentiel humain de l’entreprise, et ainsi d’enclencher le cercle vertueux de la performance.
La première table ronde réunissait Christian Batal, président du cabinet Interface, Sylvie Brunet, présidente de la section Travail et emploi du Cese, Stéphane Rémy, chef de la mission de l’organisation des contrôles à la DGEFP, et enfin Alexis Hluszko, avec sa casquette de l’Office national des forêts (ONF).
Le responsable formation se trouve face à une équation insoluble : il doit former plus de gens, pour des compétences plus avancées, avec des ressources qui, le plus souvent, ne bougent pas. Comment peut-il s’y prendre pour imposer la formation comme investissement ?
Les débats ont tourné autour de 3 questions :
Sur le premier sujet, Sylvie Brunet rappelle qu’elle a toujours dû, en tant que DRH, se battre pour être dans le comité stratégique. Or il est essentiel que les RH et la formation soient prises en compte le plus en amont possible pour produire tous ses effets. Ce qui pose, plus généralement, la question de la formation initiale des managers. Le plus souvent, ils découvrent le dialogue social, la santé au travail, la prévention des risques quand ils entrent dans le milieu du travail.
La question de la stratégie est développée notamment par Christian Batal, pour qui « sans vision stratégique, la gestion n’est qu’une sale manie ». Il articule sa réflexion autour de la notion de « capabilité », qui dépasse – sans la remplacer – celle de « compétence ». La compétence nous donne la capacité à répondre à des situations connues et apprises. Christian Batal s’interroge sur la possibilité d’un nouveau modèle de « design social », fondé sur les « capabilités », adaptation au contexte de l’entreprise de la notion théorisée par Amartya Sen. La démarche consiste à agir sur l’environnement pour optimiser la capacité et la motivation des collaborateurs à se servir des ressources.
Alexis Hluszko revient notamment sur les opportunités offertes aux organisations par les nouvelles modalités pédagogiques. Intelligemment mises en œuvre par la RH et le management, elles peuvent aider à relever ces différents défis – besoin de sens, évolution rapide des métiers, tension sur les moyens financiers… Stéphane Rémy insiste de son côté sur la nécessité de produire des indicateurs partagés par tous, sous peine de « rater l’exercice ». Des indicateurs, estime Sylvie Brunet, qui doivent également être appropriés à la problématique de chaque secteur.
Pour évoquer les différents aspects de la révolution numérique dans la formation, cette deuxième table ronde réunissait Franck Tami, sur l’aspect digital de la formation, Jean-François Figuié, directeur d’EMEA-First Finance, Sylvain Vacaresse, directeur de LearningSalad, et Richard Lévy, professeur de médecine, spécialiste en neuropsychiatrie.
Animateur de la conférence, Olivier Poncelet (FFP) a abordé celle-ci en s’attachant au contexte de la transformation digitale. Existe-t-il de nouvelles attentes justifiant celle-ci, ou la transformation digitale est-elle finalement davantage subie que réellement utile et nécessaire ?
Après des échanges faisant consensus sur l’évolution des attentes des collaborateurs – volonté de liberté, d’apprendre quand et comme on le souhaite – Jean-François Figuié a pointé, côté entreprises, le rôle joué par l’appropriation dans la sphère privée des nouveaux outils par les collaborateurs. Ces derniers manifestent par ailleurs leur attente de formations certifiantes, qui assurent à la fois leur employabilité et leur développement professionnel.
À l’heure où l’expansion du digital effraie certains, l’intervention de Richard Lévy sur les progrès scientifiques, notamment les neurosciences, a retenu l’attention de l’auditoire. Les neurosciences permettent en effet de mieux utiliser le digital en proposant des modes de formation adaptés aux différents types de mémoire. Sylvain Vacaresse a d’ailleurs relevé le fort écho de ces avancées scientifiques dans l’ergonomie des formations d’aujourd’hui, mais aussi dans la communication lors et autour des formations.
Autre question abordée, celle du recul du présentiel, mode pédagogique historique de la formation professionnelle. D’après les débatteurs, celui-ci a encore un avenir. Ainsi, si le blended learning est « tendance », il n’est pas pour autant la solution miracle. Les intervenants ont néanmoins convenu que, sauf exception, les formats longs de deux ou trois jours appartiennent eu passé. L’un des grands enseignements de cette conférence, c’est que la formation fait désormais partie intégrante du travail.
Concluons sur un moment remarqué de la conférence, le supposé retard de la France sur les Anglo-saxons par rapport aux outils digitaux de formation. Selon plusieurs intervenants, le problème n’est pas tant chez nous le retard pris sur le numérique, facilement rattrapable, qu’une question juridique, voire philosophique ; de fait, la culture de formation reste très centrée sur le contenu en France, peu sur le contexte et le mode de transmission des connaissances.
Comment dépenser les budgets de formation ? Depuis 2015 et la fin de l’obligation de dépense, la question ne se pose plus de cette façon. Aujourd’hui, on passe de « comment la formation » à « pourquoi la formation »… Cette table ronde a permis d’envisager comment le marketing peut répondre à cette nouvelle question. Elle réunissait Arnaud Cabal, président de XL Marketing Group, Christine Fourcade-Goyard, responsable formation de Havas, Guillaume Huot, directeur marketing de Cegos, et Thierry Berlanda, écrivain et philosophe.
Nicolas Lonjou, animateur de la conférence, a proposé un séquencement du débat en trois temps :
Si les armes du marketing traditionnel ont été pragmatiquement abordées et développées au fil de la conférence, le philosophe Thierry Berlanda a livré sur le marketing de la fonction formation un point de vue moins opérationnel mais tout aussi intéressant.
Selon lui, le rôle des formateurs avec la nouvelle donne législative doit être, plus que jamais, de donner envie. Or, donner envie, c’est avant tout être enviable, c’est à dire heureux. Être heureux, a développé le philosophe, c’est d’abord être cohérent. La cohérence pour le formateur, c’est être fier d’être le transmetteur d’une valeur cardinale, la valeur de la personne dans l’entreprise. Rappelant que les actes sont toujours posés par des humains, Thierry Berlanda a insisté sur le fait que, pénétré par l’idée d’être utile comme force émancipatrice de la confiance et de la fierté, le formateur suscite une envie d’imitation : l’essentiel du chemin est déjà accompli.
Précisant son approche, et faisant écho à Francis Mer, le philosophe a critiqué le terme formation en arguant qu’il ne s’agit pas de former un être humain, celui-ci n’étant pas une pâte molle, mais de le libérer.
L’essentiel est selon lui, dans la formation, de déverrouiller ce qui freine la puissance d’agir. Ce caractère libérateur de la formation ne devrait-il pas constituer un élément décisif dans le marketing de la fonction formation ? Une idée simple, mais qui mérite d’être sérieusement considérée…
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