Président et co-fondateur de l’école Simplon.co, Frédéric Bardeau promeut depuis 10 ans l’insertion des personnes éloignées de l’emploi par la formation aux métiers de l’informatique. Avec 130 écoles réparties dans 25 pays, l’ancienne start-up sociale Simplon.co a pris des allures de multinationale des compétences numériques, concluant des partenariats avec Microsoft, Apple ou Meta, ou tout récemment avec Binance Charity, tout en fournissant des profils de développeurs aux plus grandes ESN et au secteur bancaire. Entretien avec un entrepreneur social de la formation qui a mis la performance pédagogique au service simultané de l’économie digitale et de l’inclusion.
Quelle est l’origine de Simplon.co ?
Nous avons créé l’école en 2012. Nous venons de fêter nos 10 ans ! Simplon.co est née à la même époque que l’Ecole 42 ou que le Wagon, sur le modèle des Bootcamps américains. La particularité de Simplon.co, c’est le choix de la gratuité totale et de l’hyper-inclusion. Nous nous adressons aux décrocheurs, aux chômeurs en reconversion, aux migrants, aux personnes en situation de handicap… Au départ, nous nous sommes également fixé un objectif de 50% de femmes parmi les apprenants. Nous y arrivions au début, mais plus nous formons de personnes et plus cela devient difficile… Nous sommes tout de même à 40%, ce qui reste très au-dessus de ce qu’on observe dans les autres écoles d’informatique.
L’école a connu un développement rapide. Nous avons mis en place une sorte de système de franchise: si une école veut se créer suivant nos principes, nous formons les formateurs, nous transmettons notre méthode. Aujourd’hui, 130 écoles pratiquent la méthode Simplon à travers le monde, dans 25 pays. Nous avons déjà formé plus de 21 000 personnes, avec 70% de retour à l’emploi dans les 6 mois après la fin de la formation. Nos 90 centres français sont implantés majoritairement dans les quartiers prioritaires ou dans les zones rurales, dans des endroits où nous sommes souvent la seule école.
Quel a été l’impact de la crise sur la formation et sur votre activité ?
Indépendamment de la pandémie, nous assistions déjà à un fort développement du elearning, de l’asynchrone et du blended, et la crise sanitaire a confirmé et accentué la tendance. L’une des conséquences pour nous, c’est que les partenaires et les financeurs nous mettent la pression pour que nous évoluions vers ces nouvelles modalités.
Or, nous avons fait le choix au départ de ne pas faire d’individualisation, ni de distanciel. Nous formons des cohortes, dans des salles où les apprenants sont assis sur des chaises en face d’un formateur. Nous ne croyons pas du tout à l’asynchrone ni à l’elearning pour nos formations. Nous considérons qu’il y a des publics éloignés de l’emploi pour qui le distanciel n’est pas du tout adapté. Et ce n’est pas par aversion pour la technologie, nous sommes tous des geeks au départ !
Avec la pandémie, nous avons été contraints de faire un peu différemment, et de faire parfois du « téléprésentiel », c’est-à-dire de la classe virtuelle, synchrone. Nous avons aussi expérimenté des formules de classe inversée : les personnes sont en autonomie et consultent des ressources, des articles, des vidéos, puis travaillent sur des projets en synchrone, que ce soit à distance ou en présentiel. Nous ne ferons jamais de distanciel asynchrone sur nos publics éloignés, en revanche.
Pourquoi le partenariat avec Meta ?
Ils sont venus nous chercher pour que nous les aidions à former les profils dont ils auront besoin dans le cadre de leur programme de développement du métavers. Ils investissent 3 Mds€ dans le projet ; ils ont prévu de recruter 10 000 personnes en Europe. Le partenariat avec Simplon leur permet d’ajouter une dimension « insertion » et « inclusion » au programme. Ceux qui vont construire les métavers de Meta seront des gens de la diversité, des chômeurs, des profils atypiques.
Les premières formations seront lancées dès cet automne, et les formations en alternance seront disponibles en 2023. Nous formerons aux métiers de technicien de réalité virtuelle et de développeur du métavers. Mais nos formations resteront en présentiel !
Comment évolue le marché du travail dans le numérique ?
Il y avait déjà des tensions sur le marché du travail numérique avant la pandémie ; elles se sont encore intensifiées. On aurait pu penser que les entreprises et leurs services RH allaient s’ouvrir à des publics différents pour répondre à la pénurie. Mais je ne vois pas beaucoup de changements. Les entreprises n’arrivent pas à recruter mais ne veulent pas pour autant prendre le risque de s’éloigner de leurs habitudes. C’est préoccupant. Le diplôme, en particulier, continue à s’imposer.
Les personnes que nous formons répondent pourtant aux demandes du marché. Elles sont hypercompétentes, bien formées, mais elles ont des profils différents du mainstream. Elles n’ont pas de diplômes antérieurs, il leur manque parfois certaines soft skills, elles ne cochent pas toutes les cases. Mais elles connaissent leur métier. Les licornes du secteur vont avoir des besoins considérables de compétences dans les années à venir, mais ne semblent pas faire évoluer leurs pratiques pour le moment.
En revanche, les ESN, comme Inetum ou Capgemini, et les services bancaires recrutent massivement nos étudiants. Ces deux secteurs représentent 50 ou 60% des embauches des personnes formées dans nos écoles. S’y ajoutent l’Etat, les collectivités, de grandes entreprises, et quelques licornes plus en avance que les autres.
Quel regard portez-vous sur la réforme de 2018 ?
Quand nous avons créé Simplon.co, nous venions du monde des geeks, et nous n’étions pas de grands spécialistes des politiques publiques… Nous avons bien dû nous y intéresser mais nous ne sommes toujours pas des experts du sujet. Je trouve néanmoins que la réforme va plutôt dans le bon sens, avec notamment la monétisation du CPF, l’individualisation des parcours, l’élargissement de la définition de l’action de formation, l’accent mis sur les transitions professionnelles… Le marché s’est sans doute assaini et rationalisé. Et nous avons pu créer facilement notre CFA : avant la réforme, en matière d’alternance, nous ne faisions que du contrat de professionnalisation.
En revanche, le système fait peser de nouvelles charges sur les organismes de formation : on nous demande de faire du sourcing, de trouver les entreprises pour les recrutements des stagiaires, de transmettre certaines informations… Et tout cela n’est pas compris dans les coûts pédagogiques.
Globalement, beaucoup d’argent a été mis sur la table, et c’est une bonne chose. Mais le péché originel du système de formation professionnel français demeure : les fonds ne vont pas à ceux qui ont le plus besoin de formation. Les cadres, les diplômés connaissent les rouages et profitent des financements. Mais les plus éloignés de l’emploi n’y accèdent pas.
Que faudrait-il faire ?
Il faudrait favoriser financièrement la formation des publics les moins diplômés et les plus éloignés de l’entreprise. Pôle emploi, les R2gions et les Opco paient les organismes de formation 9€ de l’heure, par exemple, que le stagiaire soit bac+5 ou sans aucun diplôme ! Idem pour les aides à l’alternance. Avec la probable suppression de celles-ci et la baisse des coûts-contrat, les entreprises vont encore plus se concentrer sur le recrutement d’alternants diplômés, qui sont plus autonomes et ne mobilisent pas beaucoup de ressources en interne. Les entreprises qui prennent plus de risques et recrutent des profils plus atypiques devraient être davantage aidées.
Quels sont vos thèmes de formation ?
Initialement, nous nous sommes concentrés sur le métier le plus recherché du numérique, celui de développeur. Puis nous nous sommes diversifiés sur les métiers porteurs à mesure qu’ils ont émergé – la cybersécurité, la data, le métavers … Et nous lançons aujourd’hui un partenariat sur les métiers de la blockchain avec Binance Charity et Binance Academy [N.d.R : Binance Charity est la fondation créée en 2018 par le géant de la blockchain et des cryptomonnaies Binance].
Depuis 2017, nous avons aussi développé des formations aux compétences de base numériques. Nous nous sommes aperçus en effet que nous n’étions pas aussi inclusifs que nous le souhaitions: nous n’arrivions pas à toucher certains publics à qui il manquait un socle de compétences pour progresser dans l’univers numérique. Nous avons donc créé un référentiel de formation pour lutter contre l’illettrisme numérique.
Et vos choix pédagogiques?
Nous nous appuyons sur des partis pris forts. Nous faisons de la pédagogie active : les stagiaires travaillent sur des projets, du premier jusqu’au dernier jour. Nous pratiquons l’approche par compétences : nous ne formons pas au php, par exemple, mais au métier de développeur. Nos référentiels sont des référentiels de métiers, d’activités. Que les développeurs utilisent le Python ou le Javascript n’est qu’une expression de leur métier. Par ailleurs, nous pouvons former de façon conventionnelle ou en alternance (apprentissage ou professionnalisation).
Une modalité qui nous intéresse beaucoup est la formation en situation de travail. Nous allons prendre des initiatives fortes dans ce sens. C’était difficile jusqu’à présent, parce qu’il y avait peu de financements. Aujourd’hui nous commençons à voir des appels à projets de Pôle emploi, des régions, des Opco sur l’Afest.
Comment financez-vous la gratuité ?
Nous utilisons toutes les ressources du système. Nous gagnons des appels d’offres des régions, des programmes régionaux de formation (PRF). Nous mobilisons parfois des fonds européens, pour certains publics comme les réfugiés, par exemple. Il y a aussi l’Agefiph, qui finance des actions pour les personnes en situation de handicap, et d’autres organismes qui ciblent des populations précises.
Nous travaillons énormément avec les Opco, pour les contrats d’alternance ou pour les POEC. Nous répondons par exemple à des appels d’offre d’Atlas, l’Opco du numérique et des banques, entre autres. Le CPF, en revanche, ne nous concerne pas, puisque nos prestations sont gratuites pour les apprenants.
Nous construisons enfin des partenariats avec de grandes entreprises, comme Microsoft, Meta, Apple. Elles nous aident par des financements, du matériel, du software, de l’ouverture à leur écosystème d’entreprises pour placer les alternants…
Comment travaillez-vous avec les entreprises ?
Nous pouvons nous adresser aux entreprises de trois façons :
- L’entreprise nous donne une fiche de poste, et nous la faisons tourner dans notre vivier. Nous pouvons organiser des job datings, ou attendre que les candidats se manifestent.
- Nous pouvons organiser des sessions de formation dédiées à 3 ou 4 entreprises simultanément, qui se réunissent pour former leurs futurs salariés.
- Avec de gros recruteurs, nous organisons des sessions dédiées à une entreprise. En général, ce sont des banques ou des ESN. Par exemple, BNP-Paribas nous a demandé de contribuer à leur engagement 1000 développeurs femmes à former sur 2 ans.
Quels sont les prochains horizons de développement de Simplon ?
Nous allons poursuivre notre expansion. Expansion géographique, sur le territoire français et à l’étranger. Mais aussi développement sur les nouveaux métiers en tension – le métavers, la blockchain, les jeux vidéos… Nous élargissons nos référentiels de formation.
Nous aimerions également toucher certains publics que nous n’arrivons pas à atteindre – les seniors, les femmes qui ont des enfants en bas âge sans solutions de garde, les prisonniers… Nous ne lâchons pas l’affaire ! Nous voulons aller chercher toutes les personnes pour qui le numérique peut être une opportunité, et qui ne savent pas que nous existons.
A l’étranger, les profils que nous visons sont parfois assez différents. En Afrique ou au Moyen-Orient, il peut s’agir de personnes qui ont fait des études universitaires mais dont la formation est trop académique pour leur permettre de trouver un emploi. En Inde, nous ciblons les femmes dans les zones rurales. Un point intéressant est que dans beaucoup de pays du Sud, comme l’Inde, le Maroc, la Tunisie ou d’autres, nous n’avons aucun mal à attirer des profils féminins sur nos formations informatiques, alors qu’en Europe c’est beaucoup plus difficile. En Inde, les parents rêvent que leur fille trouve un travail dans une grande entreprise informatique, c’est un environnement sûr et les rémunérations sont élevées. En France, les vocations féminines ne sont pas vraiment encouragées… Il y a un vrai problème de stéréotypes !
Crédit photo : Thomas Chené pour Apec
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