L’Espagne a longtemps sous-investi dans la formation continue. Au cours des 15 dernières années, elle s’est dotée d’un système centralisé de financement incitatif assez proche de celui qui prévalait en France avant 2014, et les pratiques des entreprises en matière de formation des salariés ont changé très rapidement. Nous poursuivons notre tour d’Europe des systèmes de formation professionnelle avec cette étape espagnole.
>> Pour une vision « terrain », voir l’interview d’Eva Meroño, DRH de Simmedica (Madrid).
Un rattrapage spectaculaire
La formation professionnelle continue s’est considérablement développée en Espagne au cours des 15 dernières années. Entre 2005 et 2015, selon l’étude européenne CVTS, la proportion de salariés ayant suivi une formation au cours de l’année écoulée est passée de 33% (en-dessous de la moyenne européenne de l’époque) à plus de 50% (pour une moyenne européenne de 41%).
On est donc en présence d’un rattrapage extrêmement rapide, qui se vérifie sur d’autres indicateurs. La part d’entreprises de plus de 10 salariés ayant formé au moins un collaborateur dans l’année est passée de 47% à 75% entre 2005 et 2010 (les données 2015 ne sont pas toutes disponibles). Les chiffres du ministère espagnol de l’emploi et de la sécurité sociale, qui portent sur un échantillon plus large (entreprises de 5 salariés et plus), donnent 77% d’entreprises ayant effectué au moins une action de formation en 2015. Et ces entreprises réunissent 91,5% des salariés (70,6% dans les plus petites, soit de 5 à 9 salariés, et près de 100% dans celles de plus de 500 salariés).
Que s’est-il donc passé ? Selon le site de Fundae, la structure nationale qui gère le système de formation professionnelle, la formation continue était quasi inexistante en Espagne avant les années 1990. La formation professionnelle des adultes concernait alors essentiellement les demandeurs d’emploi. A partir de 1993, une série de lois et d’accords entre les partenaires sociaux ont conduit à la mise en place d’un système complet et centralisé de formation continue des salariés. On est ainsi passé, de 1993 à 2005, de 0,2% de la masse salariale investie en formation à 0,6%, puis à 1,6% en 2010.
Quel financement des actions de formation des entreprises ?
En 1993 est créé Forcem, organisme géré par l’Etat et les partenaires sociaux pour piloter la formation professionnelle. Forcem devient en 2004 la Fundación Tripartita para la formación en el Empleo, elle-même rebaptisée Fundae lors de la réforme de 2015. Entre-temps, un décret royal de 2003 a profondément modifié le système, d’une part en introduisant les Communautés autonomes (les régions) dans la gouvernance, d’autre part en créant un système de financement très incitatif pour les entreprises.
La bonificación
Il s’agit d’une formule très proche de celle de l’imputabilité, telle qu’elle était pratiquée en France avant la réforme de 2014. Les entreprises versent une cotisation de 0,7% des salaires (0,6% à la charge de l’employeur, 0,1% à la charge du salarié). Chaque année, elles bénéficient d’un crédit formation calculé sur la base du montant total des cotisations versées l’année précédente. Il y a une forte mutualisation en faveur des plus petites structures : les entreprises de 1 à 9 salariés récupèrent ainsi 100% de leurs cotisations, tandis que les plus grandes (au-dessus de 250 salariés) n’en retrouvent que la moitié. Il y a deux paliers à 60% et 75% entre ces deux extrêmes.
La récupération s’effectue sous la forme d’un remboursement de la prestation de formation, le mois suivant, en déduction des cotisations sociales. A la fin de l’année, si l’entreprise n’a pas dépensé l’intégralité de son crédit formation, les sommes restantes sont perdues.
On est donc assez proche du système français antérieur, mais avec un intermédiaire en moins : les Opca.
A noter que la cotisation de 0,7% existe au moins depuis 1986 : la réforme de 2003 n’a pas créé de nouvelle charge sur les entreprises, mais a réorienté la ressource. Depuis la réforme de 2015, les entreprises de plus de 5 salariés doivent contribuer au financement de chaque action de formation, dans la limite d’un pourcentage qui varie suivant la taille des entreprises. En outre, il existe une possibilité pour les entreprises de moins de 50 salariés de cumuler le crédit formation sur trois ans, à certaines conditions.
Enfin, la représentation du personnel, quand il y en a une, doit être consultée et donner son accord.
Le Permiso Individual de Formación (PIF)
Ce dispositif permet à l’entreprise de se faire rembourser le coût salarial du temps passé par un collaborateur en formation. Celle-ci doit être certifiante et être souhaitée par le salarié. Le financement de la formation elle-même peut provenir de la bonificación (le crédit formation) ou être assuré en tout ou partie par le salarié.
La formation subventionnée
Les autorités subventionnent certains organismes de formation pour proposer aux salariés (mais aussi, dans une moindre mesure, aux indépendants et aux demandeurs d’emploi) des formations gratuites dans certains domaines. Il s’agit notamment de formations à des compétences transversales ou en vue d’une reconversion. Les salariés peuvent trouver les prestations qui leur conviennent via un moteur de recherche et, s’ils remplissent les critères, en bénéficier gratuitement hors temps de travail, sans avoir à en informer leur employeur.
Les avantages fiscaux
Il existe également un système de défiscalisation de la dépense formation des salariés. Il s’agit d’un avantage fiscal que les entreprises peuvent choisir de proposer à leurs collaborateurs. Celui qui demande à en bénéficier peut ainsi demander à suivre une formation (d’intérêt mutuel entreprise/salarié), dont le coût est directement déduit de son salaire sur la fiche de paie, et donc de son revenu imposable. En pratique, cela revient à subventionner le paiement d’une formation financée par le salarié.
Pour quel type de formations ?
Du point de vue du type de formation continue, l’Espagne fait partie des pays dits « mono-formateurs », selon la typologie utilisée par le Céreq dans son étude de 2013 « Formation continue des salariés en Europe : les écarts entre pays se réduisent encore ». En clair, on forme beaucoup les adultes en Espagne par cours et stages (48% de taux d’accès en 2010, contre 38% à l’échelle européenne), mais relativement peu par formation en situation de travail (20%, contre 21% en moyenne européenne).
L’Espagne apparaît donc comme un pays où les salariés ont un bon accès à une formation professionnelle continue plutôt « traditionnelle », c’est-à-dire sous forme de cours plutôt que de formation en situation de travail ou autres innovations pédagogiques. Pour autant, dans quelle mesure ces cours et stages sont-ils concernés par la digitalisation ? Davantage qu’ailleurs, nous répond le baromètre Cegos de 2016 : 61% des salariés formés ont bénéficié de modules e-learning dans les 3 années précédentes, soit le meilleur score des 6 pays sondés, la France étant dernière à 37%. Même classement pour le recours aux vidéos, aux classes virtuelles et aux web conférences.
Les salariés espagnols paraissent en phase avec ces préférences : ils sont ceux qui mentionnent le plus souvent les outils en ligne pour améliorer leurs compétences (pour 41% d’entre eux, contre 34% en moyenne). Ils s’inscrivent en revanche dans une optique plus hiérarchique que leurs collègues des autres pays, privilégiant le soutien du manager sur les échanges entre collègues parmi les facteurs de réussite de la formation.
Le système espagnol de formation continue emprunte donc à l’ancien système français (avec l’obligation de dépense et le rôle des partenaires sociaux), mais avec un fonctionnement beaucoup plus centralisé, plus redistributif et une philosophie résolument tournée vers le co-investissement entre employeur et salarié. Même si la dépense globale reste en retrait par rapport à ce qu’elle est en France, par exemple, la formation dans les entreprises espagnoles semble partie dans une dynamique de croissance vigoureuse, qui fait une bonne part aux formations à distance. Reste à voir si cette politique, développée notamment suite à la définition des objectifs de Lisbonne au début des années 2000, portera ses fruits en matière de performance économique et de lutte contre le chômage, dans un pays où celui-ci baisse mais reste à un niveau très élevé (16,5% fin 2017).
Crédit illustration : fotolia / djvstock
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