Les débats techniques autour de la réforme de la formation professionnelle, encombrés de sigles et de termes jargonnants, tendent à éclipser les enjeux très concrets que recouvre ce domaine pour les individus. Comment les Français perçoivent-ils la formation continue ? Quelles sont leurs attentes vis-à-vis du système, et leur connaissance de celui-ci ? Une étude de l’Afpa récemment parue permet de répondre en partie à ces questions.
La formation professionnelle, thème dont l’image médiatique demeure assez austère, résonne pourtant pour l’homme et la femme de la rue comme un espoir, un horizon, une ouverture vers de nouvelles perspectives. « Suivre une formation », « se reconvertir », « tout plaquer et changer de métier »… La formation peut apparaître comme un sésame pour changer de vie, pour redistribuer les cartes, ou simplement progresser dans sa carrière. C’est en tout cas ce qui se dégage de l’enquête commandée par l’Afpa à Ipsos, et conduite fin octobre et début novembre auprès de 3000 personnes.
Le contexte : un monde professionnel en transformation
Les répondants sont quasi-unanimes à considérer que « le monde professionnel connaît une transformation sans précédent dans l’histoire ». 92% des actifs de l’échantillon (soit 2273 répondants sur les 3003 contactées) sont de cet avis.
L’opinion se divise en revanche radicalement sur le sens à donner à cette mutation. Un quart des actifs la voit comme une opportunité ; 3 sur 10 y perçoivent une menace. Le plus gros contingent est constitué de ceux qui considèrent qu’elle n’est ni l’une ni l’autre : 44% refusent ainsi de trancher.
Sans surprise, le sentiment de menace est plus répandu chez les seniors et les chômeurs, et dans une moindre mesure chez les moins fortunés et les moins qualifiés. Les indépendants, les cadres supérieurs, les jeunes, les mieux rémunérés percevant à l’inverse plus souvent la transformation comme une opportunité. On retrouve la même dichotomie et à peu près les mêmes ordres de grandeur lorsqu’on demande aux participants en activité s’ils se sentent bien préparés pour faire face à ces défis. Les actifs se montrent cependant un petit peu plus optimistes sur le degré de préparation de leur entreprise : 31% la croient bien armée, soit un peu plus que ceux qui pensent le contraire (27%). Là encore, les indécis – ou ceux qui trouvent la question trop simpliste – sont nombreux (31%).
Se former pour s’en sortir
Lorsqu’on leur demande leur réaction en cas de menace sur leur emploi, les personnes interrogées citent en premier lieu le recours à une formation pour se reconvertir ou changer de fonction : 82% des actifs choisissent cette option. 80% parlent de changer d’entreprise, 75% de changer de métier – choix complémentaires du premier. La mobilité géographique ne tente que 45% des répondants (mais plus de la moitié des habitants d’Ile-de-France et des Hauts de France, cependant), et un sur trois envisagerait de créer sa propre activité.
Un bémol cependant : on est surpris de constater que les moins qualifiés (bac seul ou sans le bac) sont un peu moins nombreux que la moyenne à envisager le recours à la formation (74% au lieu de 82%). La différence est faible, mais on aurait préféré la voir dans l’autre sens. Désillusion d’une partie de ces répondants ? Ou effet structurel lié à un âge en moyenne plus élevé des actifs les moins qualifiés ?
Un chiffre pourrait donner de l’espoir : 77% des actifs privilégient la formation continue comme outil de sécurisation de son parcours, contre 10% pour la formation initiale. Au pays du diplôme roi, on pourrait donc se réjouir d’une prise de conscience. La question est étrangement posée, cependant : « Selon vous, qu’est-ce qui peut vous aider le plus à sécuriser votre avenir professionnel ? » L’énoncé semble donc porter davantage sur l’expérience personnelle du répondant que sur un point de vue global. 87% des personnes interrogées ayant plus de 25 ans, on voit mal comment la formation pourrait être perçue comme un recours par un très grand nombre de participants.
Une étude réalisée par Elabe pour BFMTV confirme cependant toute l’importance que les Français accordent au sujet : la réforme de la formation, de l’apprentissage et de l’assurance chômage arrive en effet en tête des chantiers gouvernementaux prioritaires les plus souvent cités.
Un système assez difficile d’accès
Au-delà de leurs aspirations, les Français maîtrisent-ils leur système de formation professionnelle ? Les réponses sont très partagées, et guère encourageantes. Près d’un actif sur deux (48%) trouve que l’information sur la formation professionnelle n’est pas accessible ; les foyers aux revenus les plus modestes sont même un peu plus nombreux à porter ce jugement (52%). A l’inverse, les plus diplômés, les mieux rémunérés, ainsi que les salariés à temps plein sont plus nombreux à trouver l’information sur la formation accessible (entre 2 et 5 points de pourcentage en plus). Si les écarts ne sont pas considérables, ils sont significatifs, et renforcent l’image d’un système conçu davantage pour les « inclus » et insuffisamment ciblé sur les publics les plus fragiles.
On retrouve le même phénomène, avec des scores encore un peu plus inquiétants, lorsqu’on demande aux actifs s’ils trouvent l’information sur le sujet « claire » : 56% répondent par la négative, et seulement 37% par l’affirmative. Là encore, les plus favorisés sont un peu plus nombreux à y comprendre quelque chose – même si on ne monte jamais au-dessus de 40%.
De fait, la simplification de l’accès à la formation figure bien sur le podium des attentes prioritaires des actifs vis-à-vis de la réforme en cours. Cette requête ne recueille cependant que 15% des suffrages ; mais la question ne laissait pas la possibilité de choix multiples, et les réponses se répartissent de façon très éclatée entre les 9 options proposées. En tête, la possibilité de se former sur le temps de travail (21%) et un système souple qui prenne en compte toutes les situations possibles, chômage, reconversion ou évolution professionnelle (20%). A noter que ces trois propositions renvoient en filigrane à différents aspects débattus de la réforme du CPF :
- Un CPF plus simple d’accès,
- plus facilement mobilisable sur le temps de travail grâce aux abondements et aux accords d’entreprise,
- intégrant la dimension « reconversion » du CIF.
Une formation professionnelle plus accessible, mieux ciblée, perçue comme essentielle pour s’adapter à un monde du travail qui change et pour réaliser ses projets : on retrouve bien toutes ces tendances dans les grandes orientations retenues par le gouvernement pour la réforme, et dans les préoccupations des partenaires sociaux. Si les réformateurs apparaissent donc plutôt en phase avec l’opinion, sont-ils en mesure de résoudre les principaux problèmes du système de formation professionnel, à savoir son déficit d’image et sa trop grande complexité d’usage ?
Egalement à retenir en janvier 2018
« Pendant les travaux, la formation continue »… Ainsi Entreprise & Carrières n°1369 (22-28 janvier 2018) titre-t-il son dossier consacré à la 15e université d’hiver de la formation professionnelle, animée par Centre Inffo à Biarritz du 31 janvier au 2 février. Ce rendez-vous annuel, organisé avec 35 autres institutions et réseaux, rassemble les acteurs de la formation autour des grands thèmes du moment : ceux de la réforme – simplification de l’accès à la formation, financement, gouvernance… et ceux du marché : l’innovation technologique au service de la pédagogie. Dans le dossier, notamment :
- Jean Wemaëre, président de la Fédération de la formation professionnelle, prend la parole pour évoquer les pistes proposées par son organisation (notamment le CPF en euros et le crédit d’impôt).
- Une nouveauté à l’université d’hiver cette année : un rendez-vous « Université Entreprise » destiné aux DRH et responsables formation.
- Un focus sur la formation en situation de travail (Fest), alternative au stage présentiel et à la formation à distance. Comment l’organiser et la formaliser de façon simple ?
- L’apport du digital à la formation professionnelle, que ce soit par le biais des outils pédagogiques ou par celui de l’organisation et la personnalisation des parcours.
Mais c’est (assez logiquement) Inffo Formation n°937 (1er-15 février 2018) qui consacre le dossier le plus imposant (28 pages) à l’événement. Après une introduction de Fouzi Fethi, juriste senior à Centre Inffo, sur les enjeux de la réforme, suit une série de doubles pages évoquant de nombreux aspects de la thématique :
- Un parallèle entre le Datadock et le DPC (Développement professionnel continu), habilitation délivrée aux organismes de formation du secteur de la santé, par Aurélie Maurize, juriste à Centre Inffo ;
- Un point sur les certifications professionnelles avec Valérie Michelet, également juriste à Centre Inffo ;
- Le point de vue de Jean-Pierre Willems sur la réforme, ainsi que celui du Garf ;
- Un développement intéressant sur les formations multimodales et la façon dont la réforme pourrait les favoriser (Sabrina Dougados, Froment-Briens) ;
- Des réflexions sur le rôle de l’entreprise dans l’employabilité et sur l’investissement en capital humain, sur le dialogue social et la formation professionnelle, sur l’entretien professionnel, sur l’alternance…
- Un questionnement de Marc Dennery autour de la place de la fonction formation dans l’entreprise. Selon lui, l’investissement formation n’a pas baissé, au contraire, pour une raison simple : « les transformations vécues par les entreprises créent de nouveaux besoins de formation. » La fonction formation doit « apprivoiser » la digitalisation et aller vers une « gestion individualisée et permanente des apprentissages ». Elle doit être à la fois « plus centralisée et plus proche du terrain ».
Le numéro d’Entreprise & Carrières déjà cité contient également une mise en perspective très instructive sur la formation professionnelle au Québec (p. 12). On y apprend qu’un système d’obligation de dépense de 1%, assez similaire au système français, y a été mis en place progressivement en 1995, puis petit à petit démantelé, pour ne plus concerner que les plus grandes entreprises. Selon une spécialiste interrogée (Ginette Berteau, université de Montréal), « en Amérique, les formations sont de plus en plus courtes […] Ce n’est que la dimension « en avoir pour son argent » qui est importante ». « De façon générale, la formation occupe une position bien accessoire dans les entreprises », dit également un consultant québécois. « Pour preuve, rares sont celles ayant des politiques claires en matière de formation ».
Crédit illustration : fotolia/ Romolo Tavani
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