Réforme de la formation : cette fois-ci c’est différent.

Regards croisés avec Dominique Le Roux

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Dominique Le Roux est directeur du département social des Editions Législatives. Juriste en droit social, journaliste, il répond avec son regard d’expert à nos questions sur l’actualité sociale : les ordonnances travail et la réforme de la formation professionnelle. 

 

Quelles sont les conséquences des ordonnances dans le domaine de la formation ?

Les ordonnances « travail » n’impactent pas frontalement le domaine de la formation professionnelle, même s’il est possible qu’elles le fassent indirectement. Rappelons que l’une des ordonnances Macron institue une nouvelle répartition des thèmes en matière de dialogue social : un premier bloc contient les 13 domaines « sanctuarisés » dans le cadre de la négociation de branche – c’est-à-dire les thèmes sur lesquels un accord d’entreprise ne peut pas prévoir des mesures moins-disantes que l’accord de branche. Un second bloc contient les domaines dans lesquels un accord d’entreprise peut déroger à l’accord de branche, à condition que celui-ci n’en exclue pas explicitement la possibilité. Le bloc 3, enfin, contient tous les autres thèmes.

La mutualisation des fonds de la formation fait partie du bloc 1 : c’est l’un des domaines « sanctuarisés » de la négociation de branche, comme c’était déjà le cas. Il n’y donc pas de changement de ce côté. Mais tout le reste figure dans le bloc 3. Sous réserve des mesures d’ordre public, la formation peut donc faire l’objet d’accords d’entreprise : cela inclut tout ce qui concerne le plan de formation, le compte personnel de formation (CPF), etc. Et sur ces matières, les entreprises pourront négocier des mesures qui diffèrent de celles éventuellement prévues par leur accord de branche.

Prenons un exemple : l’abondement au CPF. Lorsqu’un accord de branche prévoit que les entreprises abondent le CPF dans certaines proportions, un accord d’entreprise pourra réduire ou supprimer l’abondement.

Les ordonnances apportent une autre modification, plus technique. La loi Rebsamen avait réuni les consultations du comité d’entreprise en 3 grands ensembles : les orientations stratégiques, la situation économique et financière, la politique sociale. Le plan de formation se trouvait inclus dans cette dernière consultation. Formellement, on ne savait pas s’il était vraiment possible de dédier une consultation au plan de formation seul. En pratique, les entreprises n’avaient pas réellement changé leurs habitudes. Les ordonnances clarifient cependant la question, en permettant par accord d’entreprise de réorganiser les thèmes des différentes consultations. Et donc de réserver spécifiquement une réunion au plan de formation.

 

Y a-t-il un présent et un avenir pour la négociation d’entreprise autour de la formation professionnelle ?

Aujourd’hui les accords d’entreprise portent assez peu sur la formation professionnelle ; ou alors au travers des accords sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Peut-être en verrons-nous davantage avec les ordonnances, qui poussent à la négociation d’entreprise. Ce pourrait être le cas par exemple avec les accords créant le conseil d’entreprise, qui constitue le stade ultime de la fusion des IRP. Car dans ce cas, l’avis conforme du conseil sera nécessaire lorsqu’il sera consulté sur la formation.

 

Par rapport aux négociations interprofessionnelles antérieures sur la formation professionnelle, celle qui vient de commencer s’annonce-t-elle différente ?

Oui, le contexte est très différent de celui des précédentes réformes. Le gouvernement a hésité entre concertation et négociation. Les ordonnances « travail » ont fait l’objet d’une concertation : sur la base d’un cahier des charges, le gouvernement a discuté avec les syndicats, mais en gardant totalement la main sur le contenu final. Pour la formation professionnelle, le gouvernement a finalement préféré s’en tenir au processus habituel pour ce type de réforme : une négociation paritaire débouchant sur un accord national interprofessionnel signé par les partenaires sociaux, repris ensuite dans un projet de loi.

Il a toutefois souhaité encadrer cette négociation via un document d’orientation, dans lequel il détaille les points qu’il souhaite que les partenaires sociaux abordent ; au-delà de ces points, il souhaite conserver sa liberté.  En optant pour la négociation, le gouvernement reconnaît le rôle du paritarisme dans la formation professionnelle, ce qui représente une évolution importante : souvenez-vous qu’Emmanuel Macron souhaitait au départ une désintermédiation totale, avec suppression des Opca, le salarié achetant directement la formation qui lui convient…

 

Quels sont les principaux thèmes de cette négociation ?

Le premier enjeu est celui du salarié acteur de son parcours, que l’on retrouve dans le document d’orientation. Le Droit individuel à la formation (Dif) était déjà conçu dans cet esprit, le Compte personnel de formation (CPF) étant le dernier développement de ce mouvement. L’idée est que le salarié dispose d’un droit à la formation qui lui est propre, distinct de sa relation à l’employeur. Le gouvernement souhaite aller plus loin, avec notamment la fusion du CPF et du Congé individuel de formation (Cif).

Viennent ensuite les problèmes de financement, assez classiques. On retrouve ici deux fils rouges de toutes les réformes sur la formation : former les personnes sans qualification et favoriser l’accès à la formation des salariés des PME. Tout le monde est d’accord sur le principe, mais comment financer ? Sur le premier sujet, le gouvernement  propose un effort en direction des demandeurs d’emploi, financé par une contribution de 0,3% de la masse salariale. Seront-ils pris sur les 1% de la formation professionnelle, ou s’y ajouteront-ils ? Dans les deux cas, il faudra s’attendre à des oppositions parmi les partenaires sociaux.

Sur le second sujet, celui des PME, le débat risque d’opposer le Medef à la CPME et l’U2P : c’est la question de la mutualisation des fonds au profit des petites entreprises.

Troisième enjeu : la définition de l’action de formation. Le gouvernement veut simplifier cette définition. Il propose notamment la suppression de la période de professionnalisation, dispositif très utilisé en entreprise.

Autre grand thème : l’alternance. Il existe deux types de contrat d’alternance, le contrat de professionnalisation et l’apprentissage. Le gouvernement ne parle pas strictement de fusionner les deux dispositifs, mais d’unifier les circuits de financement.

Un dernier chantier est celui de la certification de la qualité de la formation. Le gouvernement propose de passer par le Cofrac, le Comité français d’accréditation. Celui-ci est déjà impliqué dans la formation, par le biais par exemple du Caces (certificat d’aptitude à la conduite en sécurité) : le Cofrac accrédite des organismes qui à leur tour délivrent des habilitations aux organismes de formation préparant au Caces. Il s’agit cependant d’une simple proposition, que les partenaires sociaux ne reprendront pas nécessairement.

 

Quels sont les points qui risquent de poser problème ?

Au-delà du financement du dispositif, la place des Opca (organismes paritaires collecteurs agréés) va forcément susciter des débats. Les partenaires sociaux souhaitent conserver le système des Opca, en mettant en avant leur rôle d’ingénierie de la formation, d’accompagnement et de conseil. Mais les Opca sont très critiqués sur leur véritable capacité à remplir ces missions. Or le rôle de collecteur peut très bien être assuré par une autre instance, comme les Urssaf…

L’issue de la négociation dépendra également de la façon dont se déroulent les autres réformes, l’assurance chômage et la retraite. Le gouvernement ne peut pas se mettre à dos les syndicats et les représentants patronaux. S’il y a un accord national interprofessionnel sur la formation, il pourra difficilement s’en affranchir, au risque de fâcher durablement les partenaires sociaux dont il a besoin pour les prochaines réformes.

 

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