Spécialiste et praticien émérite du système de formation professionnelle français, Paul Santelmann, responsable de la veille à l’AFPA, a publié un long article sur le sujet dans la revue Futuribles de janvier-février 2016. Il y brosse en 15 pages un tableau en profondeur et sans concession de la formation continue en France, des origines à l’avenir. Synthèse des principaux points abordés.
De la promotion sociale à la lutte contre l’exclusion
L’auteur retrace d’abord à grands traits l’histoire de la formation professionnelle continue en France. Il rappelle que le projet initial, issu de l’accord interprofessionnel du 9 juillet 1970 et de la loi du 16 juillet 1971, reposait sur une architecture assez simple et visait des objectifs très différents de ceux qui se sont imposés par la suite.
- On y distinguait deux types de formations professionnelles : à l’initiative de l’employeur (le plan de formation) et à celle du salarié (le congé individuel de formation). Ce schéma initial a été considérablement brouillé par la suite.
- Le système était ancré dans une philosophie du progrès et de l’ascension sociale : à une époque qui ne connaissait quasiment aucun chômage, la finalité était « de responsabiliser les partenaires sociaux autour d’un effort massif de formation des salariés dont une majorité n’avait guère bénéficié d’une scolarité réussie dans les années 1950 et 1960 ».
La crise des années 1970 a bouleversé cette structure de départ, pour réorienter le système vers l’insertion des jeunes et des chômeurs. De vecteur de promotion sociale, la formation professionnelle est devenue, dans son esprit, un outil de lutte contre le chômage et l’exclusion. Et un outil, on va le voir, qui n’atteint pas son objectif. La multiplication des types de contrats en alternance à partir de 1984 (fusionnés dans le contrat de professionnalisation en 2004) témoigne notamment de cette évolution.
Un système qui se complique
À partir du tournant des années 2000, des réformes successives modifient l’architecture du système et dispersent sa gouvernance.
C’est l’époque, en particulier, de la création de la validation des acquis de l’expérience (VAE), dispositif qui n’a pas véritablement décollé. Selon le Jaune budgétaire pour 2016 (tableau p.145), après un pic à 32 000 en 2009, le nombre de certifications délivrées est retombé en 2014 en dessous de son niveau de 2006, à 25 600. Loin des 60 000 en rythme de croisière que l’on escomptait.
C’est l’époque, également, de la création du droit individuel à la formation (DIF), supprimé en faveur du compte personnel de formation (CPF) par la réforme de 2014. Même si les deux dispositifs (DIF et CPF) sont différents – le second s’adressant également aux jeunes et aux demandeurs d’emploi – ils s’inscrivent tous deux dans une logique d’individualisation des parcours de formation.
Dans le même temps, argumente Paul Santelmann, la formation professionnelle se décentralise, par transfert d’une partie des compétences aux régions. La définition des politiques se partage donc entre l’État central et des régions qui n’ont qu’une autonomie partielle, dans une concertation permanente avec les organisations professionnelles et syndicales, « extrêmement divisées et peu influentes ». De fait, ce « quadripartisme » territorial (État, région, employeurs, salariés), réaffirmé par la dernière réforme, n’améliore pas toujours la lisibilité des politiques de formation professionnelle.
Pour quels résultats ?
Malgré l’orientation assumée du système vers les publics les plus défavorisés, il semble bien que la formation professionnelle continue à bénéficier en priorité, au contraire, aux plus qualifiés.
D’abord d’un point de vue qualitatif : l’offre de formation, extrêmement fragmentée (62 000 organismes de formation), se répartit entre :
- 2% d’acteurs publics,
- des structures privées performantes et innovantes à l’intention d’un public de cadres,
- et tout un vivier de petits organismes souvent associatifs qui se consacrent à la formation des publics les plus fragiles – demandeurs d’emploi peu qualifiés, jeunes en insertion, salariés en mobilité. Tributaires des politiques du moment, précaires, mal dotés en moyens de formation, ces acteurs voient en plus leur inventivité bridée par des cahiers des charges limitatifs.
Ces déséquilibres se traduisent dans les résultats quantitatifs : plus de la moitié des cadres (55%) ont eu accès à une formation en 2013, contre un tiers environ pour les ouvriers et les employés.
La prime à la formation initiale
Dernier handicap du système français : le système de formation initiale est privilégié, selon Paul Santelmann. C’est de lui qu’on attend l’essentiel de l’effort, en vertu d’une conviction : celle que les emplois se polarisent entre compétences de haut niveau d’un côté, très faibles qualifications de l’autre. De ce fait, on considère, implicitement ou explicitement, que tout se joue lors des années d’études. Il faudrait donc réussir à lancer le plus d’étudiants possibles sur la bonne voie des métiers très qualifiés.
Pour Paul Santelmann, rien ne permet d’affirmer que cette polarisation des emplois a réellement lieu. Et les exemples d’autres pays européens montrent qu’il est possible de réussir la montée en compétences des adultes par des systèmes qui allient plus étroitement l’entreprise et le monde de la formation.
Formation professionnelle : la France au banc d’essai
Pour l’auteur, la faiblesse du système de formation continue se traduit par un retard flagrant de la France en matière de compétences des adultes, par rapport aux autres pays de l’OCDE. Le rapport publié par cet organisme en août 2015, signé Nicola Brandt, signale de fait (graphiques p.8) que la France arrive 19e sur 22 pays membres pour la numératie des adultes, 20e pour la littéracie. Les 25-29 ans n’y sont qu’1% à bénéficier d’une formation professionnelle qualifiante, contre 7% en moyenne dans l’OCDE.
Au-delà de ce constat, il est difficile de comparer terme à terme les différents systèmes. Les études Cedefop et Cereq permettent néanmoins de lister les facteurs de réussite des pays qui ont les meilleurs résultats :
- l’existence d’une tradition syndicale, solidariste et d’éducation populaire bien implantée ;
- l’implication des entreprises dans la formation des moins qualifiés ;
- l’engagement des pouvoirs locaux ;
- un contrôle qualité indépendant.
Sur tous ces points – à l’exception du premier, qui est historique – la France a une marge de progression importante.
Et demain ?
Une raison d’être optimiste se trouve dans le foisonnement d’initiatives et d’innovations sur le terrain de l’entreprise, du côté des modalités pédagogiques, de l’organisation des processus d’apprentissage, de l’exploitation du numérique. Pour l’auteur, ces progrès se font indépendamment du système institutionnalisé de formation professionnelle continue.
Celui-ci devra pourtant relever le défi de la nécessaire montée en compétence des salariés français sur le digital et les technologies de l’avenir, en ciblant 4 publics :
- les TPE-PME,
- les professions intermédiaires,
- les seniors
- et les demandeurs d’emploi.
Le système français, pour Paul Santelmann, est encore loin du compte, et le CPF ne va pas forcément dans le bon sens, en contribuant encore plus à la dispersion des fonds. Le salut viendra-t-il des initiatives conjointes des entreprises et des organismes de formation les plus novateurs ?
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